Le Pr Isabelle Arnulf est neurologue, directrice de l’unité des pathologies du sommeil de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière et chercheuse à l’Institut du cerveau et de la moelle épinière.
Les liens entre sommeil et cognition sont de mieux en mieux connus. Dans ce contexte, que conseillez-vous aux professionnels des consultations mémoire? Comment, dans le temps nécessairement restreint d’une consultation mémoire, interroger sur les troubles du sommeil?
La priorité est de rechercher le manque de sommeil, la somnolence et les troubles comportementaux en sommeil paradoxal. S’il manque de temps, le professionnel peut poser trois questions. La première est : « Combien de temps dormez-vous en moyenne par nuit ? » Si la réponse est inférieure à 7 heures, il faut explorer et rechercher les causes de restriction du temps dormi, et notamment l’insomnie. La seconde question que je poserais est : « Vous endormez vous involontairement dans la journée ? » en précisant bien que je ne parle pas de la sieste. Si c’est le cas je suggère de remettre au patient le score d’Epworth. Une somnolence anormale >10 devra déterminer un enregistrement de sommeil.
Enfin la troisième question à poser est :
« Avez-vous depuis quelque temps des cauchemars, des agitations dans le
sommeil ? Est-ce que vous criez ou jurez en dormant ? Donnez-vous des
coups ? » Il faut poser une question équivalente à l’épouse
ou à l’époux le cas échéant. En cas de réponse positive il faut faire
pratiquer une vidéo-polysomnographie pour rechercher un trouble du
comportement en sommeil paradoxal.
Tenant en compte la disponibilité limitée de l’examen, quelles
sont les indications de polygraphie nocturne et de polysomnographie
chez les sujets présentant un trouble cognitif débutant ?
Je viens d’aborder le cas d’une suspicion de trouble du comportement en sommeil paradoxal, qui doit faire pratiquer une vidéo-polysomnographie (vidéo-PSG). La notion d’une agitation nocturne et de cauchemars doit faire réaliser l’examen. Par contre, la vidéo PSG est moins utile quand la démence à corps de Lewy ou la maladie de Parkinson sont avérés, puisqu’on est quasi certain de ce qu’on va trouver.
L’hypersomnolence (à la différence du manque de sommeil ou de l’insomnie) nécessite toujours un bilan de sommeil. Si le profil est plutôt celui d’un syndrome d’apnées obstructives du sommeil (ronflements, obésité, hypertension), on peut envoyer le patient d’emblée faire une polygraphie ventilatoire, qui est utile pour diagnostiquer un syndrome d’apnées du sommeil. Sinon je privilégierais polysomnographie et tests itératifs de latence d’endormissement (PSG + TILE) à cause de la somnolence associée à la maladie de corps de Lewy débutante.
Quelles actualités dans le domaine du sommeil et de la cognition?
Quelles sont les résultats ou innovations attendus pour les années à
venir?
Je retiens d’abord la découverte que la protéine amyloïde anormale et de nombreux débris et toxiques sont éliminés du cerveau préférentiellement pendant le sommeil (jusqu’à 60 fois plus chez la souris !). L’élimination se fait par le ganglion lymphatique cervical, grâce à un système “d’égout” qui était inconnu jusqu’en 2012, le système glymphatique. Le liquide cérébrospinal circule dans des “tunnels” entre la paroi des artères et le pied des astrocytes, et communique avec l’espace interneuronal via des canaux (aquaporine 4). Dans les cohortes, les personnes qui disent mal dormir ou qui sont trop somnolentes ont une charge amyloïde supérieure aux autres.
Ensuite il a été montré que des stimulations auditives en sommeil lent profond couplées aux ondes lentes pouvaient améliorer la consolidation mnésique pendant le sommeil. Suite à cette découverte, des systèmes de casques et bandeaux sont en cours de développement pour “booster” le sommeil profond et donc la mémoire…
J’ai également retenu la confirmation de la quasi-absence de lien entre le syndrome d’apnées du sommeil et les tests cognitifs, dans plus de 5 grandes cohortes de plus de 5000 patients âgés. Comme on trouve des apnées “anormales” chez plus de 40% des populations âgées sans plainte, il est important de ne traiter que les personnes qui sont somnolentes, pas celles qui ont un trouble cognitif et des apnées sans autre symptôme.
Enfin le lien entre trouble comportemental en sommeil paradoxal (TCSP) et synucléinopathies se confirme. Les synucléinopathies sont les maladies neurodégénératives caractérisées par la présence d’agrégats d’alpha-synucléine, parmi lesquelles on trouve la démence à corps de Lewy, la maladie de Parkinson et l’atrophie multi-systématisée. Or il existe un taux de conversion de 50% vers une maladie de Parkinson ou une démence à corps de Lewy 6 ans après le diagnostic du TCSP, et ce taux augmente à 92% après 14 ans. De l’alpha-synucléine anormale est déjà retrouvée dans le colon, les glandes salivaires et la peau chez les patients souffrant d’un TCSP isolé. L’atteinte dopaminergique présymptomatique est visible non seulement sur le DAT scan, mais maintenant également sur l’IRM de la substance noire. Des tests moteurs quantifiés et des tests de la voix sur smartphone ont également été développés pour prédire la conversion. Des anticorps monoclonaux anti alpha-synucléine sont ou vont être testés dans des essais thérapeutiques pour protéger ces patients de la neurodégénérescence. Pour les personnes présentant un TCSP idiopathique porteuses d’une mutation sur le gène GBA (10% de ces patients, plus que dans la maladie de Parkinson et la population générale), un essai thérapeutique de substitution de l’enzyme GBA débute, comme dans la maladie de Gaucher.